Au 19e siècle, une femme devient la pionnière du métier de mannequin : Marie Worth, qui s’imposera aussi comme une actrice clé dans la stratégie de la maison de couture de son mari.
En 1851, le mariage entre une jeune femme de la bourgeoisie de province et un jeune couturier en devenir marque le début d’une aventure intime et professionnelle qui fera date dans l’histoire de la mode. Le Britannique Charles Frederick Worth et la Clermontoise Marie Vernet se rencontrent chez Gagelin, une maison parisienne de vente de textiles, de châles et de vêtements prêts à porter ; il est simple commis, elle est vendeuse, mais leur union ne tarde pas à faire des étincelles dans le milieu de la mode.
Alors que, jusque-là, les clients achetaient leurs propres tissus et les faisaient assembler par des couturiers qui se déplaçaient à domicile pour les essayages, Worth dessine pour Marie des créations qu’elle porte chez Gagelin, devenant ainsi la première mannequin de l’histoire et la meilleure ambassadrice du talent de son mari. Leur fils Jean-Philippe écrira dans ses mémoires : « Au début elle fut l’inspiratrice de mon père et à la fin la célébrité de la boutique. Aucune cliente ne l’a jamais traitée comme un “fournisseur”, beaucoup, enchantées par sa grâce et son charme, prétendant être son amie. »
Sur elle, n’importe quelle pièce prend immédiatement de la valeur. « Où avez-vous donc eu cette magnifique robe, il me faut la même ! », entend-on partout où elle passe, dans les salons parisiens, les dîners mondains, et plus tard dans la magnifique villa suresnoise du couple. Mais, loin d’être un simple porte-manteau, et bien plus qu’une égérie, Marie est aussi la conseillère intime et l’agent artistique de son mari, que la presse parisienne ne tarde pas à surnommer le « roi de la mode ».
Duo créatif
En 1858, fort de sa notoriété croissante, Charles Frederick fonde sa propre enseigne, la maison Worth, inventant le principe même de la maison de couture. Il a la brillante idée de lancer le concept de « collections », des lignes confectionnées par saison dont seuls les coloris et la taille peuvent être modifiés. Marie participe activement à la création, influence les choix stylistiques, n’hésitant pas à refuser tout bonnement de porter les créations qu’elle juge trop avant-gardistes ou pas assez prometteuses. Le duo fait de la maison Worth une référence incontournable de la mode.
À partir de 1865, la santé fragile de Marie la contraint à délaisser peu à peu son rôle de mannequin, tandis que son mari continue de présenter ses collections sur des modèles vivants à travers des défilés prestigieux qui impressionnent la bourgeoisie de l’époque. Marie Worth meurt à Suresnes en 1898, trois ans après son mari. Tous deux sont enterrés au cimetière Carnot. La maison Worth, spécialisée dans la haute couture, le prêt-à-porter et la parfumerie, a perduré grâce à leurs descendants jusqu’en 1952, avant de fermer en 1956.
Le Tout-Paris à Suresnes
Dans les années 1860, Charles Frederick Worth fait construire une résidence sur un terrain de 15 000 m2, au croisement des actuelles avenue Franklin-Roosevelt et rue Worth. Bordée d’un jardin orné de serres exotiques, de bosquets et de cascades, de sculptures et de statues, la spectaculaire villa Worth fut l’un des lieux les plus courus de la société mondaine de l’époque. La demeure et le parc ont été détruits dans les années 30 pour y construire l’hôpital Foch.