Directeur associé de l’agence Grand Public qui a accompagné la Ville dans la démarche « Construire Suresnes ensemble », l’économiste Frédéric Gilli plaide pour que les citoyens soient pleinement associés à la vie de la cité et aux grands choix qui guident l’action politique.
Comment expliquer que la démocratie participative fasse parfois figure de coquille vide ?
La façon de décider et de construire les projets ne peut plus être celle qui a prévalu des années 70 à 2000 : imposer les décisions prises d’en haut par « les gens qui savent », ça ne marche pas, tout le monde le sait désormais. Pourquoi ? Parce que la réalité est devenue tellement complexe qu’une personne ou un groupe ne peut plus prétendre savoir ce qu’il faut faire avec la certitude que tous les paramètres sont sous contrôle, que tous les points de vue sont pris en compte. D’où l’idée d’associer les citoyens au processus de décision politique. Or une méfiance réciproque s’est installée entre les élus et les citoyens : les habitants soupçonnent leurs dirigeants de ne pas agir pour l’intérêt général, tandis que les élus ont tendance à ne voir les habitants que comme des râleurs, des contestataires enclins à leur mettre des bâtons dans les roues. C’est ainsi que la démocratie participative s’est transformée en technocratie participative : on concerte sur des aspects techniques, purement opérationnels ou pratiques. Or ce dont on manque, ce n’est pas de compétences en ingénierie mais de sens – à la fois de signification et de direction.
Comment mieux associer la population aux grands choix politiques et stratégiques ?
Faire de la démocratie avec les citoyens, c’est remettre de la vision, des valeurs. C’est solliciter les habitants en tant que citoyens et pas en tant qu’experts. À l’échelle locale, c’est se demander à l’aune de quels principes la Ville doit être gouvernée, où on veut aller ensemble… L’enjeu est de déverrouiller les espaces de décision pour travailler ensemble cette question du sens et de revenir à une dimension pleinement démocratique. Il s’agit de retrouver un récit collectif dont le point de départ est : Cette ville, c’est la nôtre ».
Qu’est-ce qui explique la réussite de la démarche « Construire Suresnes ensemble », un dispositif de concertation initié en 2021 pour permettre aux Suresnois d’imaginer le futur de leur ville ?
Guillaume Boudy a mis la concertation au cœur de son projet pour Suresnes, avec l’ambition de recréer le dialogue entre les habitants sur un sujet : la ville de demain. Il nous a confié le soin de mener une première réflexion autour du réaménagement du centre-ville. Il s’agissait d’ouvrir la discussion dans tous les quartiers, d’aller chercher les publics éloignés (comme les jeunes), de permettre à tous d’écouter les différents points de vue et d’enrichir cette « volonté générale » au fur et à mesure des sujets abordés. Une fois ce travail mené, il faut identifier et énoncer des pistes de travail, faire des points d’étape, dire ce qui n’a pas été fait, expliquer pourquoi tel projet prend du retard… C’est un véritable dialogue croisé entre élus, habitants et services qui doit s’engager, dans lequel la transparence et la sincérité doivent être de mise. Suresnes a pris le temps de rassembler les habitants et a mené ces différentes étapes, malgré le contexte rendu compliqué par le Covid.
Bio express
Professeur associé à l’École urbaine de Sciences Po, cofondateur de la revue Metropolitiques, Frédéric Gilli est directeur associé de l’agence Grand Public, qui propose des solutions aux dirigeants engagés dans la transformation d’entreprises, d’institutions et de territoires, « en donnant la parole à ceux qui vont la vivre »